Des bouts de barbarie
Le 2 février 2005, le musée des Cultures du monde de Göteborg a pris la grave décision de retirer de l’exposition No Name Fever le tableau Scène d’Amour, suite à des protestations provenant de certains membres de la communauté musulmane.
Permettez-moi de revenir sur ce qui s’est passé de mon point de vue. Alors même que Scène d’amour était censuré, j’étais de mon côté personnellement menacée par des intégristes d’une part et harcelée par les médias de l’autre. Etant donnée le peu d’expérience que j’avais alors sur chacun de ces trois fronts, j’étais vouée à être manipulée, utilisée comme un objet.
J’ai eu le tort d'accepter de remplacer Scène d’amour par un autre tableau et de ne pas avoir su affirmer ma position d’une manière nette. Cela s'est traduit dans les faits par une certaine passivité de ma part.
Ma position, en 2005, était (et elle le reste) la suivante : je considère que je n’ai aucun devoir ni vis-à-vis des musées, ni des intégristes, ni des militants luttant "pour la liberté".
Les armes de la guerre que je mène sont celles de l'art. Cela est très clair pour moi. Mon rôle ne se situe pas sur la scène politique. Il est de créer des œuvres d'art à travers lesquelles j'exprime une réalité qui m'est propre. C'est ainsi que j'ai choisis de m'inscrire dans l'humanité.
La censure de Scène d’amour m’a réellement fait prendre conscience de l'impact que peut avoir l’œuvre d'art sur la réalité. Le public s'est approprié mon tableau. Sous le regard des autres, Scène d’amour m’a échappé ; il appartient désormais à l’histoire. Il a permis un débat, une rencontre, des espoirs. Je crois encore plus fermement après cela dans la dimension exceptionnelle de l'art et dans son pouvoir.
J’ai peint Scène d'amour avec une certaine désinvolture. Aujourd'hui, j'ai encore de cette désinvolture mais j'ai aussi fais connaissance avec la responsabilité.
Non, le musée n'aurait pas dû retirer Scène d'Amour.
Peu importe la tournure qu’auraient pris les événements : il importe de faire face au monstre, à l’émergence de la réalité, avec toute sa violence. Le musée des Cultures du Monde est une institution d'Etat et en tant que tel, il se doit de protéger la liberté d'expression et de garantir la sécurité en son sein. Or, dans cette affaire, l'Etat a failli. La question est : pourquoi?
J’aimerais faire en outre remarquer qu'à partir du moment où Scène d’amour a été censuré, sa visibilité via Internet s’est multipliée. Mais si les gens ont été plus nombreux à pouvoir voir Scène d’amour, ils ont pu aussi mesurer l’ampleur de la terreur de la censure.
Le terrorisme. Qui est complice?
Le terrorisme est aveugle. Il est dirigé contre des gens qui ne sont pas prêts à affronter l’agression. Le terrorisme dont je parle n’attaque pas la force armée de l’adversaire qu’il veut abattre. Il attaque des innocents et des gens non armés, sans défense. En cela, il déclare sa lâcheté, sa faiblesse et son manque définitif de noblesse et de légitimité.
Dans nos sociétés, les individus, hommes et femmes, ont déposé les armes car le contrat social implique que l’Etat s’engage à les protéger. Que se passe-t-il lorsque ce dernier se désiste ? Il laisse place à la barbarie.
C’est ce qui s’est passé en janvier 2005 lorsque Scène d'Amour a été censuré. C’est cela aussi la barbarie : être dans l’impossibilité de s’exprimer car le faire voudrait dire se faire tuer.
Dalila Dalléas alias Louzla Darabi (2002-2009)
Actualité:
Exposition de groupe à la galerie Peter Herrmann. Jusqu'au 17.7.2010 http://galerie-herrmann.com
Focus 10 - Basel. 16.6.- 20.6.2010. Off-Project to Art Basel. http://www.focus10.ch/
Original article GT-Expressen
|